La narration dans les jeux vidéo est un pilier essentiel qui reflète les valeurs, les sensibilités et les traditions culturelles des créateurs. Selon les régions du monde, les récits vidéoludiques adoptent des approches distinctes, qu’ils soient linéaires, ouverts, mystiques ou réalistes. Cet article explore ces différences à travers les influences culturelles majeures, avec une section spéciale dédiée à l’art du récit japonais, qui se distingue par sa diversité et sa profondeur.
Les approches narratives par culture
Occident : récits linéaires et réalistes
En Amérique du Nord et en Europe, les jeux vidéo privilégient souvent des récits linéaires et réalistes, ancrés dans des thèmes accessibles ou cinématographiques. Des titres comme The Last of Us (États-Unis) ou The Witcher 3 (Pologne) combinent des histoires structurées avec des personnages complexes et des dilemmes moraux. L’accent est mis sur l’immersion narrative, souvent inspirée par le cinéma hollywoodien, avec des dialogues percutants et des intrigues centrées sur l’humain. Les récits réalistes, comme dans Red Dead Redemption 2, explorent des thèmes historiques ou sociaux, tandis que les récits linéaires garantissent une progression dramatique contrôlée.
Asie de l’Est : récits mystiques et ouverts
En Asie de l’Est, notamment au Japon et en Corée du Sud, les récits tendent vers le mystique ou l’introspection, souvent avec des mondes ouverts qui laissent place à l’interprétation. Les jeux japonais comme The Legend of Zelda: Breath of the Wild proposent des récits ouverts, où l’histoire se dévoile à travers l’exploration plutôt que par une narration dirigiste. En Corée du Sud, des MMORPG comme Black Desert Online intègrent des récits mystiques, mêlant mythologie et quêtes épiques, bien que l’accent soit souvent mis sur le gameplay collectif plutôt que sur une histoire centrale.
Chine : récits épiques et collectifs
La Chine, avec son marché en pleine expansion, favorise des récits épiques et collectifs, souvent influencés par la mythologie ou l’histoire nationale. Des jeux comme Genshin Impact (miHoYo) combinent des récits ouverts avec des éléments mystiques, inspirés par des contes traditionnels et des esthétiques wuxia (arts martiaux fantastiques). L’approche narrative est généralement moins introspective, mais met l’accent sur des arcs héroïques et des interactions sociales, reflétant une culture qui valorise le collectif.
Autres régions : émergence de récits locaux
Dans d’autres régions, comme l’Amérique latine ou l’Afrique, les récits vidéoludiques commencent à émerger, souvent ancrés dans des mythologies locales ou des réalités sociales. Par exemple, des jeux indépendants comme Kādomon: Hyper Auto Battlers (Afrique du Sud) intègrent des éléments narratifs inspirés par des contes africains, bien que ces industries soient encore en développement. Ces récits, souvent mystiques ou symboliques, cherchent à se démarquer des standards occidentaux ou asiatiques.
Comparaison des styles narratifs
- Linéaires : Prédominants en Occident (Uncharted), ils offrent une expérience cinématographique avec une progression claire.
- Ouverts : Populaires au Japon (Elden Ring), ils privilégient la liberté du joueur et une narration environnementale.
- Mystiques : Fréquents en Asie de l’Est (Ghost of Tsushima), ils intègrent spiritualité, mythologie et symbolisme.
- Réalistes : Dominants en Occident (GTA V), ils explorent des thèmes sociaux ou historiques avec un fort ancrage dans le réel.
Section spéciale : L’art du récit japonais
Le Japon a redéfini la narration vidéoludique grâce à une approche qui mêle poésie, introspection et excentricité. Les récits japonais se distinguent par leur capacité à transcender les conventions, offrant des expériences émotionnelles et esthétiques uniques.
Univers poétiques : Ōkami
Ōkami (2006, Clover Studio) est une ode à la mythologie japonaise, où le joueur incarne Amaterasu, la déesse du soleil sous forme de loup. Le récit, inspiré par le shintoïsme, est porté par une direction artistique évoquant les estampes ukiyo-e. L’histoire, bien que linéaire, est imprégnée de poésie, avec des dialogues minimalistes et une narration environnementale qui laisse le joueur s’imprégner de l’univers. Ce style poétique, où la nature et la spiritualité sont centrales, est typique des récits japonais qui cherchent à évoquer des émotions subtiles.
Introspection et minimalisme : Shadow of the Colossus
Shadow of the Colossus (2005, Team Ico) incarne l’introspection, un trait récurrent dans les jeux japonais. L’histoire, centrée sur un jeune homme prêt à tout pour sauver une femme, est racontée avec une économie de mots et des visuels grandioses. Chaque combat contre un colosse est une méditation sur la perte, la moralité et le sacrifice. Ce minimalisme narratif, combiné à une narration environnementale, invite le joueur à projeter ses propres émotions, une approche qui contraste avec les récits occidentaux plus explicites.
Excentricité et chaos narratif : Yakuza
La série Yakuza (Ryu Ga Gotoku Studio) illustre l’excentricité japonaise, mêlant drame criminel, humour absurde et récits secondaires délirants. Les intrigues principales, centrées sur des yakuzas honorables comme Kazuma Kiryu, adoptent un ton mélodramatique inspiré des films de gangsters japonais. Cependant, les quêtes annexes, comme aider une idole pop ou affronter un gang de bébés géants, injectent une dose de surréalisme. Cette dualité entre sérieux et absurdité reflète la culture japonaise, qui embrasse les contrastes.
L’héritage narratif japonais
Les récits japonais se distinguent par leur diversité et leur audace. Ils puisent dans la mythologie (Ōkami), explorent des thèmes philosophiques (Shadow of the Colossus) ou jouent avec les conventions (Yakuza). Cette richesse découle d’une culture qui valorise l’esthétique, la spiritualité et l’émotion, tout en osant expérimenter. Des franchises comme Final Fantasy ou Persona continuent de perpétuer cet héritage, influençant les développeurs du monde entier.
Conclusion
La narration dans les jeux vidéo est un miroir des cultures qui les produisent. L’Occident excelle dans les récits linéaires et réalistes, l’Asie de l’Est dans les histoires mystiques et ouvertes, tandis que la Chine met l’accent sur l’épique et le collectif. Le Japon, avec son art narratif unique, occupe une place à part, capable de créer des univers poétiques, introspectifs ou totalement délirants. De Ōkami à Yakuza, les récits japonais prouvent que le jeu vidéo est bien plus qu’un divertissement : c’est un art narratif à part entière.